Écriture et écologie, comment écrire de nouveaux récits #2

Raconte ton quotidien en couleurs

Mon quotidien est rouge.
Rouge, la moquette d’un bâtiment vide qu’on a rempli de nos vies. Qui fait un coussin doux sous mes pied, sous ma joue quand je me joins aux chiennes qui jouent.
Rouge et oranges les braises des cigarettes et des joints de mes soirées. On les passe à boire du thé, à rire, à discuter, à se tenir chaud pour pas pleurer.
Rouge, ma voisine de chambre, une lumière de chevet rassurante dans un monde en démolition constante. Rouge ses rires, ses mots, ses yeux, le néon de sa chambre.
Rouge, le sang qui coule de mon nez parce que mon corps n’en peut plus d’être fatigué. Rouge et bleu et même violet ce sang de blessures et d’hématomes parce que les objets, les murs, les meubles ont une dent ou une griffe contre moi.
Rouge mes yeux qui pleurent parce que le monde se meurt.
Rouge ma colère quand elle monte et qu’elle n’est plus assez bleue pour être écrite et qu’elle sort dans un cri.
Rouge ou rose mon chien tout chaud au soleil ou sous la couette et les bisous pour les matins doux.

Pastiche de Philippe Delerm, instantané littéraire

S’installer pour écrire

Le décor est installé, la séance peut commencer. C’est une projection de soi pour soi, une introspection en représentation. Mais il ne faut personne autour, on ne donne ce spectacle intime qu’à nous-mêmes. Assis-e au bureau, on va écrire. La lampe est allumée, plusieurs disséminées si on a fait ça bien. Elles sont de couleurs et d’intensités différentes, elles viennent de partout dans la pièce, elles projettent des ombres diverses auxquelles s’accroche l’esprit entre deux mots écrits. Le siège est confortable et à bonne hauteur ; on l’a choisi à force d’expérience et de critères de haute importance : on s’y sent assez bien pour y rester, mais pas au point de s’y laisser tenter par l’oisiveté. Il y a aussi le bon papier. Feuille ou carnet, à chacun-e sa préférence. L’essentiel est dans le grain, la couleur et, le choix capital : lignes ou vierge ? Le stylo utilisé s’accorde avec le papier. Bille ou plume, la mine doit glisser suffisamment pour aller à la vitesse de la pensée. Si elle accroche à peine à la page, elle viendra pour notre plus grand plaisir habiter le silence trop sage en griffant doucement le papier.
Mais il n’y a pas que le matériel. Il y a le moment. On ne le trouve jamais, on le repousse, on le redoute. Il doit être parfait. Suffisamment long, suffisamment vide pour que le temps devienne espace d’écrire. Pour le sujet, pas d’inquiétude : il vient par nécessité, il s’invite dans la tête et c’est lui qui vient chercher notre main pour la faire danser.
Le spectacle terminé, on regardera l’encre en train de sécher. On relira les mots sans forcément chercher leur sens, on admirera seulement le résultat du rituel, les conséquences de la transe.

Si ton quotidien pouvait parler, qu’est-ce qu’il te dirait ?

Salut, t’as deux minutes ? Faut qu’on parle. Toi et moi, on est partenaires, je te rappelle. Je sais qu’on ne s’entend pas toujours très bien, que tu me changes tous les ans par peur de te perdre en moi, je sais tout ça. Et j’accepte, parce que c’est comme ça, parce que j’ai été assigné à toi et sincèrement, je ne t’en veux pas. Je voudrais seulement que tu m’écoutes un peu. Tu me connais, je suis fait d’habitudes. Je ne dis rien quand tu me coupes les pointes, ça nous fortifie. Mais là, ma poule, tu as laissé trop de mes plumes en chemin. Je voudrais retrouver les terrasses du matin, les longues promenades pour ne penser à rien, les rendez-vous avec les copains. Et les moments de silence, les pauses prévues, les solitudes attendues, ces moments que je t’offre pour te récompenser d’avoir suivi mon plan. Là c’est place à l’imprévu, un coup de folie, un loisir à savourer. C’est ça que je cherchais : les vrais loisirs pour du véritable plaisir. Je suis désolé de te le dire, mais j’en ai marre que tu me remplisses de distractions dans lesquelles tu ne trouves même pas de satisfaction. Tu vois bien que je suis trop petit et que tu n’as plus la place pour le reste. Quel reste ? Mais enfin ! Travailler, ranger, nettoyer. Ça te donne l’impression d’être une adulte, d’être un minimum adaptée. Ça t’empêche de paniquer. L’artillerie lourde, aussi : cuisiner. Il me manque ce temps où j’étais ton luxe facile, où je te donnais la possibilité d’être ton propre chef étoilé.
Et y a autre chose, aussi… Je sais que tu ne veux pas en parler, mais… je crois que j’aimerais bien, quitte à devoir changer bientôt, me transformer entièrement. J’aimerais bien… être un quotidien en montagne, quand je serai grand.

Laisser un commentaire