Si le monde était queer, je lui prêterais ma voix #7

Textes écrits lors de la séance du 18/03/2024.

Consigne 1 : Choisis deux émotions parmi : joie, tristesse, colère, peur. Écris un texte qui les illustre.

Tristesse
J’ai envie de dire la joie mais je ne peux pas. J’ai le constat triste d’une vie harassante et fatigante, accidentée , grise et lourde. J’ai le cœur lourd et embrumé d’un bruit sourd, aveuglé de trop de coups, strié d’une lumière inchangée. La monotonie du dur désespoir, la sensation pénible de se noyer sans se débattre, dans une eau trop noire, une nuit sans sommeil. J’ai le poids du prix de la vie et des décisions prises pour et sans moi. Je suis triste et las, je suis une artiste qui ne crée pas. Je n’ai plus l’écriture crachoir, transformatrice. Pas d’apaisement, pas de repos. La pluie est finie mais le ciel n’est pas plus beau.

Peur
Pas d’énergie pour la colère, j’suis terrifiée. Peur du monde, peur de la vie, peur qu’elle continue comme ça. Peur pour les gens autour de moi. Peur d’un monde en déclin, peur de m’en prendre les éclats. Faudrait fuir, mais j’ai mis trop de temps à colmater mes propres fuites. Peur du monde ça veut dire peur de la politique, peur des flics, peur des fascistes. Peur de devoir courir sans énergie. Mortifiée parce que peur panique vient s’ajouter à angoisse sourde et profonde. Y a trop de bruit, trop de lumière, tout va trop vite. J’ai plus les mots, plus de réplique. J’ai la fatigue et les vertiges, les sursauts à chaque bruit vif. J’suis mou dehors, agité dedans. J’tiens pas en place mais j’suis pas sûre de pouvoir bouger. Quand j’dors, j’pense juste aux cris, ça craint. Dans ma tête tout crisse, ça crise, c’est quand la fin ? J’sais pas, j’ai peur, j’veux pas. Je veux ni fuir ni combattre, y a pas de troisième choix ?

Consigne 2 : À partir des observations faites sur les procédés formels utilisés pour chaque émotion, choisir une émotion à poser sur une situation construite en groupe (inspiration : Exercices de style)

Situation : 2 femmes assises à côtés (une blonde de 20 ans, une brune de 40 ans). Elles attendent sur le quai du RER B. On est la nuit, en 1980, après une soirée arrosée. Deux objets interviennent : un parapluie Disney et une tomate. Le dernier RER est annulé.

Peur
Trop de monde à un bout du quai, personne à l’autre bout. Lola s’est assise trop droite à côté de Julia. Lola tremble, de peur et de froid. Elle ne sait pas très bien ce qu’elle fait là. Elle voudrait être ailleurs. Ses cheveux blonds attirent le regard du vieil homme, là-bas. Il voit pas qu’elle a 20 ans, ce vieux con qui a l’âge de son grand-père ? Elle cache ses yeux par terre, elle attend le RER.
Julia jette un regard discret à la jeune fille à côté d’elle. Elle a bu un verre de trop chez ce couple d’amis qui la déprime. Elle voit un peu flou. Elle fixe l’horloge du quai et les minutes qui avancent. Si le RER n’arrive pas, elle n’aura nulle part où dormir. Elle se demande d’où vient et où va la jeune fille assise à côté d’elle. Elle a l’air de rentrer d’une soirée. Mais elle n’est pas sûre qu’elle rentre chez elle. Non. Elle voit son maquillage qui a coulé. Sont-elles deux âmes errantes, perdues, sans destination précise ?
Lola relève les yeux. Une tomate. Rouge. Fraîche, avec même un bout de tige. Elle tient dans une main, vieille, qui l’agrippe, des doigts longs et noueux. Et au bout, un sourire libidineux.
– Rouge passion.
– Pardon ?
– La tomate. Elle est rouge passion. Pour vous, mademoiselle.
Julia regarde Lola, puis le vieux, puis Lola encore. La pauvre petite ne bouge pas, pétrifiée.
– Partez.
– Quoi ?
– Vous l’embêtez, partez.
Le vieux s’emporte et crie. Julia serre la main sur son parapluie, rose, arc-en-ciel, ridicule avec des oreilles de souris. Elle n’hésite plus et le brandit. Le vieux recule.

Le RER B n’arrive pas. C’est le dernier. L’heure est passée. L’homme a reculé mais il ne part pas. Il reste prostré là, les regarde de haut. Lola s’agite sur son siège. Julia tente un sourire rassurant mais elle sait qu’elle est trop inquiète elle-même.
Le son d’annonce qui retentit soudainement fait sursauter les deux femmes. RER annulé.
– Non, non, non, non…
Julia chuchote pour elle-même. Lola se dit qu’il faudrait qu’elle se lève. Mais elle se sent bloquée, là, sur ce siège. Et puis, pour aller où ? Moins loin qu’avec le train, mais… où ? Le vieux continue de les regarder, il sourit.
Julia dit enfin :
– Venez, mademoiselle, ne restons pas là.
Lola sursaute et sourit. Julia se lève, Lola la suit. Le vieux aussi.
– Vous allez où ?
– Je ne sais pas. Et vous ?
– Je ne sais pas, je ne peux plus rentrer chez moi, maintenant. Mais on doit partir d’ici.
Derrière, toujours, le vieux les suit, tripotant sa tomate.
Julia tremble aussi, maintenant. Elle ne voulait pas, mais se rend à l’évidence. Elle doit aider Lola.
– On va aller chez mes amis pour la nuit. Venez.
Elles s’éloignent de la gare, leur pas de plus en plus rapide, le parapluie en main comme pour se cacher l’ombre glissant derrière elles sans relâche.

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