Texte lu sur la scène de Cri du cœur le 17 septembre 2024.
L’été, c’est ma saison. Je peux porter le moins de vêtements possible, plonger dans n’importe quelle eau que je croise, faire le point, me réinventer, redémarrer.
Mais voilà. Pas cet été.
J’aimerais écrire le soleil sur ma peau, le bleu à s’y perdre dans les yeux, la chaleur qui détend, l’eau qui relaxe, l’été où l’on ne fait que regarder le temps qui passe. Mais voilà. Le temps qui passe ne passe pas. Le temps qu’il fait défile. La brume grise mouille l’herbe, la rosée de pleine journée s’accroche aux fleurs de carottes sauvages, autre décor, autre blanc, ce ne sont plus les pétales de rose blanche qui tombent sur mon épaule chaude. Rose bronzée est devenue coureuse arrosée.
Lire beaucoup, bien manger, absorber le soleil, courir, marcher, nager. S’occuper, penser à autre chose. Surtout ne pas penser. Ne pas s’attarder sur les blessures à panser, essayer à tout prix de faire une pause. Une pause après une année à courir, déménager, pleurer. J’ai changé de vie pour changer de moi, mais à chaque mois passé c’était un nouveau coup. J’ai encaissé en regardant ailleurs et en continuant d’avancer. Au bout d’un moment, on m’a dit « Faudrait faire une pause, mademoiselle, arrêter un peu de travailler, le temps de vous remettre. » Ne pas travailler, d’accord, mais ne pas y penser ? Impossible, tout s’y rapporte !
Essayer d’écrire juste pour le plaisir, retrouver le naturel, reprendre les mots, s’accrocher au stylo et au galop ! Revenir au temps des troupeaux de phrases sauvages qui coulaient en torrents sur le papier. Écrire pour courir sans bouger, reporter l’hyperactivité sur le papier. Louve de papier, j’ai écrit sur des murs en papier-peint des mots que j’ai dû laisser derrière moi. Plaie pas cicatrisée, je sens le ruisseau se former. J’ai dû laisser mon chez moi, un nid construit avec mon amoureuse, sur fond de moquette rouge, de rideaux violets et de guirlandes colorées. Et des poèmes écrits sur les murs que je n’ai pas pu emporter. L’aventure est terminée, faut continuer à avancer.
Les eaux salées menacent l’eau douce de l’encre sur le papier, les mots font peur de pleurer. Peut-être que l’encre a trop attendu pour couler, bloquée dans une cartouche en forme de cœur brisé, émotions derrière le barrage de la vie qui va trop vite, mur solide d’obligations d’avancer. Depuis quand la petite fille qui pleurait tous les jours, qui écrivait toutes ses douleurs, a peur des mots qui font pleurer ?
Depuis peut-être que les mots ne sont plus écoutés. Encore plus maintenant que… Qui me tiendra la main pour me laisser pleurer ? Qui touchera mon front pour me rassurer ? J’ai déposé tant de mots dans ce bureau que je ne reverrai plus jamais.
Alors voilà. J’aurais aimé écrire la douceur de l’été, les fous rires entre copines, l’amour chaud, les muscles retrouvés. J’ai bien bronzé. J’ai lu. J’ai nagé. J’ai dansé. J’ai ri, aussi. Mais impossible de se défaire de l’idée que de longs mois m’attendent sûrement avant de reconstruire un nid avec la femme de ma vie. Et surtout impossible d’ignorer, impossible d’oublier, impossible de refermer l’énorme blessure du mois de mai. J’ai peur des mots qui font pleurer parce que la gardienne de tous mes mots/maux, Fabienne, ma psy depuis cinq ans, je ne peux cesser de la pleurer, parce que plus jamais elle ne dira de mots.