
Atelier en collaboration avec l’atelier d’écriture du Vendredi des femmes au centre LGBTQI+ de Paris.
Consigne 1 : Écris un texte à partir de ces mots, tous ou quelques uns
anamorphose, vermifuge, militante, malencontreusement, dentiste, percevoir, amour, dégoût, ballerine, fleurs, nuages, liens.
Je sors de mes nuages pour venir vous dire ce qui noircit mes pages.
Malencontreusement, j’ai un amour incommensurable pour une ballerine qui ne regarde que le ciel bleu. Elle est pour moi une apparition merveilleuse, un papillon irréel dans un champ de fleurs, seule forme stable dans un kaléidoscope coloré et hallucinatoire. Elle est une militante de la vie et de la joie, elle danse pour chasser les monstres. Moi, derrière mes nuages, je la garde en adoration, mais elle ignore mon existence et mon nom. Celle qui a l’amour pur comme moteur, en dégoût le malheur, ne peut percevoir un être tel que moi. Alors tant pis pour nos liens, fils invisibles qui nous tissent l’une à l’autre. Je suis seule à les voir, les savoir, les caresser.
Qu’il en soit ainsi, je retourne à mon obscurité.
Consigne 2 : À partir du texte de la première consigne, écris la scène qui serait le point culminant d’un film que tu inventes, et qui révèlerait des choses sur le personnage du texte.
Plan fixe sur des nuages gris et épais.
Alors qu’ils semblent se dissiper, une musique joyeuse et dansante démarre.
Elle est là, bien sûr, elle danse encore. Mes nuages ne l’atteignent toujours pas. Les fils d’argents qui nous lient ne la touchent pas.
La caméra plonge vers la prairie où danse la ballerine. On voit les fleurs et les couleurs tournoyer et parfois se brouiller. La voix de la danseuse s’élève, comme distante.
Je sens encore ce regard qui me suit partout où je danse. Ces nuages qui n’apparaissent que quand je virevolte en riant, m’ont-ils vue pleurer, crier, taper, m’enrager ? Me voient-ils lorsque mes propres nuages m’envahissent et me plongent dans une obscurité sèche et sans vie ? Je voudrais leur pluie sur ma joie, peut-être laverait-elle les larmes qui se cachent et qui me noient ?
On retourne dans les nuages, auprès de la personnage principale.
Comme souvent, mes nuages me cachent sa lumière. J’aimerais tant entendre sa voix, la voir vivre et parler, la voir se mouvoir autrement que danser.
D’où vient cette eau ? Larmes ou pluie ? Nuages, me feriez-vous enfin l’honneur de me laisser la toucher ?
La danseuse sent sur sa peau une pluie d’un amour absolu, fils d’argent qui parent sa danse triste. Les nuages enfin l’enveloppent. Elle garde longtemps les yeux fermés avant de les rouvrir et de les plonger enfin dans le regard gris profond qui la suit depuis tout ce temps.
Consigne 3 : Écris une incantation pour queeriser le monde
Monde gris d’amour binaire
D’identités figées et sans repères
Où l’amour et l’amitié
N’ont pas de mains pour se toucher
Par le pouvoir qui m’a été donné
Je te colore, je te détruis, je te libère
Monde gris je te change
Je prends ton histoire et la mélange
Je te reprends l’argent
La violence la haine et le temps
La guerre, les migrations forcées
Les terres que tu as volées
Les pleurs et la douleur
Et je te rends
« Les journaux en couleur
La journée de deux heures
Tous les enfants contents »*
Monde, tu deviens queer par le pouvoir de ce chant !
*Mots empruntés à Boris Vian dans « J’voudrais pas crever ».