
Ce soir-là, j’ai commencé par demander aux participant-e-s d’écrire chacun-e trois phrases et un paragraphe, très simples, très informatifs, sans effet de style.
Une base pour ensuite réécrire en n’utilisant que des périphrases et des synonymes, s’efforcer au maximum de ne pas réutiliser les mots du texte de départ.
Je vous présente avec joie le résultat du grand final : la réécriture par chacun-e d’un même paragraphe de départ, écrit par l’une des personnes présentes ce soir-là.
Texte orginal
J’ai rangé mes émotions dans un coin,
j’ai mis mon cerveau en pause,
j’ai mis mes chaussures et mon manteau,
j’ai pris mon casque et mon sac,
je suis sorti-e de chez moi.
Réécritures
Anonyme
Touti cet qui tourbillonnait dans man être, je l’ai choppæ par les épaules, j’ai tournæ san volume à Z ; j’ai coupæ lae réflexion, j’ai choppæ mes affaires : enfiler, enfiler, attraper, endosser- y aller. Laisser mes murs derrière.
Lou Gasparini
La tristesse, la colère, la frustration, l’angoisse qui m’appartiennent ont été reléguées vers un angle entre deux murs, ou deux plis de conscience.
La machine électrique qui me parle sans cesse à l’intérieur de ma boîte crânienne s’est arrêtée au stop que mon moi-même a brandi.
Mes capacités d’actions sont revenues et ont enfilé à mes extrémités qui touchent le sol, celles qui propulsent mon aptitude à me déplacer, leur enveloppe pour l’extérieur, rigide en bas, plus flexible sur la partie haute et les contours ; de plus, par-dessus mes extrémités autres, hautes, plus longues, plutôt des membres et surtout reposant sur les articulations qui les lient à mon cou, une chaleur en feutre adaptée.
Par mes mains, saisie de l’appareil en arc de cercle qui repose sur le haut de la même boîte crânienne évoquée plus tôt, et contre mes ailettes, qui me sert à auditionner des harmonies disharmoniques ; mêmes mains, même saisie pour la large bourse qui contient mes effets personnels et qui repose par-dessus le feutre adapté, sur les articulations évoquées également précédemment.
Mon corps, mes possessions et mon existence interne ont franchi le pas de ma porte, ont pénétré l’extérieur inconnu, pour quitter le foyer que j’investis et habite.
Imane
Par ma faute, à l’angle de la pièce, les choses du cœur se sont retrouvées.
Par ma volonté, se sont suspendus dans le temps, tout tracas, toute raison, toute pensée.
Par ma force, armure et boucliers du dehors m’ont habillée.
Par ma détermination, besace, coiffe mélodieuse et couvre-chef m’ont couronnée.
Par la grâce, la brise fraîche s’est faite poindre du bout de mon nez.
Mégane
Cendrillon après une journée avec ses belles-sœurs, balaie son désarroi et retire les rats du placard.
Robocop quant à lui met son système en veille.
Gogo gadget avec ses tennis, son long colombo, n’oublie pas ses API.
La tortue Franklin, doudou dans la carapace, a prévu une semaine pour arriver chez son amie.
Il ne lui reste plus que 6 jours, 23 heures, 59 minutes et 59 secondes.
Cristina
Les yeux mi-clos, un torrent de larmes. Il me faut revenir au réel. Comment procéder ? Je commence par rassembler mes couleurs pour les mettre à l’abri de la lumière du jour, les enfermer temporairement dans un coffret. Pensées, arrêtez de converser ! Je vous accorde une journée de repli. Et moi, enfin dans cet austère silence, privée de mes compagnes, j’endosse distraitement de quoi plonger dans le monde. Un par-dessus quelconque, et tout ce qu’il me faut pour quitter mon royaume dans l’anonymat.
Brise, éclats de lumières artificielles, un arôme un peu trop prononcé de sucrerie…
Eugene-Ace
Après avoir pris ma rage, ma tristesse et ma passion, et les avoir entassées loin de ma vue et de celle d’autres, j’ai arrêté le travail de mes méninges afin de pouvoir enfiler mes habits d’extérieur ; j’ai bien évidemment attrapé de quoi écouter de la musique ainsi que de quoi ranger mes affaires sur mes épaules, et finalement je me suis excusé.e de mon lieu de vie.
Séléné
J’ai ouvert mon livre, posé ma plume, attaché par des chaines ce qui me lie, ce qui me fait tourner en rond. Là, sur le bord d’une page, emprisonnées dans un endroit trop exigu, elles saignent, elles bavent mais elle restent rangées à l’abri des regards. Maintenant, débarrassée j’embrasse le fonctionnel, ce qui reste essentiel. Le vide résonne du bruit des captives tandis que j’enfile mon suaire de fossoyeuse. J’ajuste ce qui me permettra de piétiner. Le froid y réside arrachant les couches de mes solides forteresses de laines comme un infiltré qui ne devrait pas être là. La préparation continue. Vêtue, je m’isole posant l’annihilateur de bruit sur mes oreilles. Je regarde encore consciente du plein qui m’entoure. Dans la nuit de mon être, j’attrape la poche bien trop remplie, dernier rappel d’un monde trop lourd à porter. Le regard lissé, l’esprit vacant. J’arbore le banal sourire de celui qui fuit la pluie. Je laisse derrière moi les gouttes avec l’espoir que quand je rentrerai elles seront plus là, dissoutes aves les lettres de ma vie. Jusqu’à ce soir, je ne suis plus là.
Garance
Mains dans les yeux, nous avons dompté nos tempêtes internes, Nous avons laissé nos esprits s’évaporer, Puis, nous avons couvert nos essences corporelles de lourds drapés soyeux, protégé notre contact avec la terre, orné nos états d’âme d’ondulations musicales, collecté espoirs matériels et souvenirs intangibles, Enfin, nous avons franchi ensemble le seuil de la conscience, élancés vers l’inconnu.